4. Patrick Mercier (ODG Camembert) : témoignage d’un opérateur de terrain.
Patrick Mercier
« Comment nous sommes parvenus à revenir au lait des années 50 »
Eleveur depuis trente-cinq ans dans l’Orne (Ferme du Champ Secret), producteur fermier de camembert de Normandie, Patrick Mercier, également président de l’ODG, a misé résolument sur le retour à un « lait riche ».
Quel cheminement vous a conduit à rechercher un « lait riche » ?
En tant qu’éleveur, j’ai été confronté à plusieurs remises en cause successives qui ne me laissaient guère d’espoir à long terme : la fin des quotas, la pression de la mondialisation sur le prix du lait, la défiance des consommateurs suite à la maladie de la vache folle, des contraintes environnementales et sociales de plus en plus fortes pesant sur les comptes d’exploitation…
Comment résister ? Je me suis dit que la seule façon de m’en sortir était de produire un lait différent, un lait d’exception. J’ai totalement supprimé l’ensilage en 2001, suis passé en bio en 2010 et ai recherché des transformateurs intéressés par mon lait. Je n’en ai pas trouvé, j’ai donc décidé de le transformer moi-même. Les premiers fromages sont sorti en septembre 2012, avec un triple label : fermier, AOP et bio. Je transforme aujourd’hui en camembert de Normandie près de 330 000 litres de lait par an, issus d’un troupeau de 90 vaches laitières Normandes
Quelles sont les caractéristiques de votre lait ?
Nous pensons qu’il équivaut à celui des années 50 : nos vaches sont toutes de race Normande, sont nourries à l’herbe et au foin. Il s’agit de foin non compressé, que nous séchons en grange en insufflant la chaleur dégagée par le rayonnement solaire. Nous sommes à près de 90% de matière sèche, sans phénomène de fermentation, sans dégagement de vapeur. Les vaches couchent sur de la paille non traitée. Leurs trayons, réservoir de microflore, sont au contact de cette paille.
Par ailleurs, nous ne réfrigérons pas le lait. La traite du matin est conservée à 12°C. Le mélange de la traite du matin et de celle du soir est conservé entre 14 et 15°C, permettant un début d’acidification. Nous sommes à 20° d’acidité Dornic le matin, c’est plutôt un amorçage d’acidification. Philosophiquement, nous sommes proches de ce qui se fait en Franche Comté.
Comment gérez-vous le risque sanitaire ?
On se prémunit des Listeria grâce à de très bonnes pâtures et à l’ambiance de l’étable, et des salmonelles en n’ayant pas de céréales apparentes (tel que l’ensilage de mais) qui attirent les volatiles et les rongeurs. On se protège ainsi de leurs déjections, principale source de contamination. Nous nettoyons les trayons avant la traite, mais sans produits, uniquement avec une serviette éponge légèrement humide, pour piéger les saletés. Résultat, nos teneurs en E-Coli sont très souvent inférieures à 1 par ml.
Dans l’atelier, nous procédons à un écrémage partiel en surface qui nous permet une épuration sanitaire : on conserve quand même deux tiers de la crème dans le lait pour garder de la typicité.
Comment ensemencez-vous votre lait ?
Il a la capacité de cailler spontanément. Nous ajoutons tout de même systématiquement 1 /12e de dose de flores lactiques du commerce (soit 1 cuillère à café de poudre lyophilisée pour 1 200 litres de laits) pour garantir des horaires réguliers pour nos employés. Sans cet ajout, l’acidification est plus lente et suit une courbe moins régulière. Je pense que tout cela se ressent au palais : nos clients professionnels nous disent que nos fromages sont vraiment différents.