Sébastien Roustel
« Plusieurs voies possibles pour retrouver de la typicité »
Expert technologies fromagères CHR Hansen, ex-responsable R&D de l’Enilbio de Poligny, Sébastien Roustel présente les différentes stratégies à mettre en œuvre en fromagerie.
Les écosystèmes microbiens sont des vecteurs majeurs de la typicité des fromages, mise à mal par l’appauvrissement général de la flore microbienne des laits crus. Quels sont les leviers à actionner en fromagerie pour préserver et faire s’exprimer cette typicité ?
SR : Le premier levier à privilégier est la prématuration biologique des laits. Mais il faut que celle-ci soit bien orientée, car elle ne va pas forcément favoriser les bons micro-organismes : l’appauvrissement des laits ne se fait pas au bénéfice des bactéries lactiques d’intérêt technologique, il bénéficie surtout au pseudomonas, aux bactéries psychotrophes, voire à des bactéries pathogènes. Il faut ajouter des levains dès le début du processus.
Concrètement, comment procéder ?
SR : La première solution pour les structures fermières consiste à faire du repiquage sur lait ou lactosérum. Ces techniques « de pied de cuve » demandent des pratiques très rigoureuses en terme de pH, de température, ce n’est pas si simple à mettre en œuvre.
Autre solution, puiser dans les souchothèques collectives telles que celles mises en œuvre par plusieurs syndicats d’appellation d’origine qui proposent des ferments spécifiques à leur terroir. L’ensemble du territoire commence à être bien couvert.
Si ces deux voies ne sont pas possibles, il reste une troisième solution : travailler avec des cocktails de ferments du commerce, mais là aussi en les choisissant avec beaucoup de discernement : un peu de lactobacilles mésophiles, des lactocoques et des microcoques par exemple.
Dans les ateliers, l’acidification très rapide à laquelle procèdent beaucoup de fromagers ne risque-t-elle pas de ruiner ces efforts ?
SR : Si l’on veut préserver de la typicité, conserver les flores indigènes encore présentes dans le lait, il faut acidifier à faible dose et à température pas trop élevée, pour que l’acidification ne soit pas trop brusque : il y a toute une réflexion à mener sur tous les paramètres qui interviennent sur la dynamique d’égouttage et d’acidification.
La typicité vient aussi et surtout, ne l’oublions pas, des flores d’affinage. Elles sont déterminantes pour les pâtes lactiques et les pâtes molles, de façon moindre pour les fromages de garde. Il faut maintenir des ambiances dans les hâloirs et caves d’affinage, pour conserver l’écosystème spécifique à la fromagerie.
Quelles vous semblent être les voies les plus réalistes ? Faire porter ses efforts sur l’amont ou sur l’aval ?
SR : Les deux approches ne s’opposent pas. A court terme, étant donnée la pauvreté actuelle des laits, il faut mener ce travail en laiterie. On sait aujourd’hui très bien redonner de la typicité à des laits paucimicrobiens, mais cela demande du savoir-faire et des moyens.
Le travail sur l’amont, sur une hygiène plus raisonnée à la ferme, est de plus longue haleine : il a pour objectif de changer la réalité actuelle, c’est une voie intéressante, crédible, mais qui va nécessiter un bouleversement des pratiques et des habitudes. L’agriculteur est aujourd’hui payé en fonction de la qualité microbienne de son lait, de sa pauvreté en germes, la notion d’écosystème microbien ne lui parle pas beaucoup.
Certains exploitants ont commencé à pulvériser des bactéries lactiques ou des microcoques sur les litières des animaux. Les Australiens ont beaucoup travaillé là-dessus et s’orientent vers des élevages plus extensifs. Des résultats plutôt positifs ont été publiés. Mais il faudra peut-être attendre vingt ans pour que cet horizon-là puisse se généraliser. Aujourd’hui, les fromagers interviennent surtout en aval.
Il ne faut pas négliger le risque pathogène, qui constitue une sacrée épée de Damoclès. Les techniques d’analyse sont de plus en plus fines. Quel homme politique prendra le risque de laisser passer des pathogènes ? Il suffit de regarder la problématique actuelle des Stecs : les autorités sanitaires prennent des mesures drastiques alors qu’il n’y a pas eu de cas avérés sur l’homme avec des fromages en France depuis la fin des années 1990.