Franck Neyers
Les pièges du rendement
Enseignant en génie alimentaire à l’Enilia de Surgères, Frank Neyers détaillera les « fausses bonnes pratiques » lors de la Journée du 11 avril.
Pourquoi faut-il être prudent lorsqu’on veut mieux maîtriser ses rendements ?
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Vouloir changer les rendements en faisant évoluer des paramètres technologiques, c’est aussi prendre le risque de changer le fromage. Il est donc crucial de ne pas emprunter de mauvaises voies. L’objectif prioritaire reste de s’adapter à des variations de composition pour continuer à fabriquer le même fromage.
Pouvez-vous citer des exemples de pratiques contre-productives ?
Le fromager peut avoir la tentation d’allonger la durée de fabrication pour essayer de durcir le caillé et de réduire ainsi les fines et les pertes dans le sérum. Il va donc réaliser un caillé plus ferme, acidifier plus longuement, le temps de contact entre le sérum et le caillé va être majoré. Au final, cela donne un fromage plus lactique, qui prend le sel plus rapidement, qui emprisonne plus d’eau (ce qui contribue au rendement). Mais la succession des flores pendant l’affinage ne va pas forcément être la même.
Par exemple, pour un fromage comme le saint-nectaire, allonger le temps de durcissement peut conduire à un pH au démoulage un peu plus bas. Du coup, l’emmorgement est beaucoup plus rapide, le fromage risque de poisser davantage, car l’humidité globale est plus importante, il y a plus de support de développement pour les levures au début. Le fromage se fabrique plus vite mais se conservera aussi moins bien.
Un autre exemple, aboutissant cette fois-ci à une perte de rendement, au résultat inverse de celui recherché ?
Une tentation classique est d’ajouter plus de coagulant. Cela accélère la coagulation et l’égouttage, on se retrouve avec un fromage plus sec au démoulage. Conséquence : moins de fines, mais on fixe aussi moins d’eau, donc les rendements baissent. La récupération de matière sèche utile (MSU) est certes plus importante mais le caillé est moins humide, il faut donc plus de lait pour produire la même quantité de fromage.
Autre tentation, celle de raccourcir les temps technologiques…
On est là à la frontière entre amélioration des rendements et recherche de productivité pour mobiliser sa main-d’œuvre moins longtemps. Il faut là aussi être prudent. Par exemple, remonter le pH pour accélérer l’affinage, c’est aussi prendre des risques bactériologiques.
La recherche du rendement peut aussi être faussée par des données erronées ?
Oui, il y a d’abord le problème des outils de mesure mal étalonnés : thermomètre, pH-mètre, dont certains sont désormais munis d’un dispositif d’ajustement automatique de températures. Mais il y a aussi des façons de mesurer inappropriées. Il faut ainsi éviter de mesurer en litres, mais en kilos, car la température modifie le volume (la chaleur dilate). De plus, le lait peut foisonner, capter de l’air, et donc prendre plusieurs pourcents de volume.