5e Journée TechniqueInnovation et évolutions des pratiques

Paris - 19 juin 2018

Claude Dumarché

Revaloriser l’écosystème natif du lait

Claude Dumarché est responsable du développement de « Flores de Terroirs », une société qui développe des ferments traditionnels issus du lait cru pour la filière fromagère. Il interviendra sur la thématique « Valoriser l’écosystème natif du lait pour renforcer le lien au terroir - Mieux exploiter les flores indigènes ».

- La microflore des laits cru joue un rôle important sur la qualité sensorielle des fromages. Pourtant, elle est souvent maltraitée au cours de tout le process…
CD : Oui, dès la traite, où les pratiques d’hygiène mettent tout le monde au même niveau. Que le lait soit bio ou non, issu d’un système d’élevage intensif ou extensif, on tourne toujours entre 5 000 et 10 000 germes totaux par ml en lait de vache. Alors qu’on était il y a plusieurs décennies à 150 000 ou 200 000 germes.

- Pourquoi faut-il protéger cette microflore ?
CD : Pour avoir plus de complexité organoleptique, plus de typicité. La microflore du lait cru est bien le reflet de l’environnement où évolue l’animal. Plus on va vers des milieux protégés, préservés, plus on a des microflores intéressantes (je donnerai des exemples très précis lors de la conférence).
Avec des laits pauvres, les fromages vieillissent beaucoup moins bien qu’avant. Pour avoir une meilleure aptitude aux affinages longs, les fromagers compensent par l’ajout de ferments exogènes. Il semble aujourd’hui difficile de produire sans ferments ajoutés, mais les écosystèmes artificiels reconstitués à partir des ferments commerciaux demeurent simples et n’impliquent qu’un nombre restreint de souches « domestiques ».

- Même si les laits ont une flore indigène très pauvre, des procédés comme la prématuration permettent tout de même de la multiplier ?
CD : Certes, c’est l’exemple de certaines fromageries fabriquant des pâtes cuites (emmental, comté, beaufort…). Mais cette prématuration multiplie non seulement les bonnes flores lactiques mais aussi les flores psychotrophes.

- Quelle stratégie proposez-vous ?
CD : Une première stratégie consiste à isoler des souches indigènes sur milieux gélosés, à les purifier et à les associer ensuite. On produit ainsi des souches « domestiques ». L’expérience montre une acidification maîtrisée mais ces souches présentes ont la particularité d’avoir une faible diversité génétique et il y a toujours une souche dominante qui va minimiser l’action des autres souches (forte compétition entre les souches assemblées). C’est une biodiversité qui demeure artificielle.

La seconde stratégie, celle que nous appliquons, est de gérer la flore native du lait cru avec un procédé de purification naturel (Bionatif®). Ce levain va être constitué d’un consortium complexe de microorganismes, spécifiques du terroir d’obtention, présentant un équilibre écologique riche et original.

Cela permet d’ensemencer le lait avec une biodiversité microbienne constituée de souches « environnementales » (forte variabilité intra-espèce). Contrairement aux souches domestiques, elles ont une grande diversité génétique et sont capables de se développer sans entrer en compétition (multi-fonctionnalité associative).

En pratique, nous constituons nos meilleurs levains naturels dans des terroirs protégés, à agriculture extensive que nous restituons sous forme de levain congelé en micro-doses. Le fromager peut ainsi réensemencer une flore native spécifique de la zone de ramassage de sa fromagerie.
Cette stratégie peut permettre aussi de prolonger les durées d’affinage. C’est le cas de certaines fromageries qui peuvent avoir des pâtes molles de plus de 60 jours de DLUO. Cette stratégie favorise également la protéolyse fine, d’où de meilleures textures et une typicité accrue.